À comparer le début ­ son Autoportrait de 1947 ­ et la fin ­ le portrait de Jacques Assouad, 1993 ­ il apparaît que l'art de Guiragossian a progressé de la primauté du plein à la primauté du vide, autrement dit de la primauté de l'Occident à la primauté de l'Orient, de la primauté de la description minutieuse scrupuleusement exacte qui ne laisse aucune place à un hiatus quelconque, à la primauté de l'allusion elliptique qui laisse toute la place au blanc du support, comme une musique où les silences seraient plus longs que les sons mais où ceux-ci n'en vibreraient que davantage : les quelques traits d’acrylique au pinceau qui esquissent, sans même une continuité des lignes, la moitié du visage d'Assouad suffisent à dynamiser de telle manière le regard du spectateur qu'il finit par percevoir, illusoirement, le visage complet qui se donne en se dérobant et se dérobe en se donnant, correspondance exacte, sur le plan optique, de l'impression que produit la personnalité fuyante, difficilement cernable, du poète. Le vide est ainsi paradoxalement plein, comme dans la pensée et l'art bouddhistes où la forme est le vide et le vide la forme.

Joseph Tarrab, L'Orient le Jour, 21/02/2000